samedi 26 mars 2011

Élection fédérale de 1891 dans la région de Québec: l'affaire McGreevy-Langevin

Sir John Alexander MacDonald est le premier Premier ministre du Canada, élu lors des premières élections en 1867. Bien qu'il doive démissionner en 1873 pour une affaire de pots-de-vin, il réussit à reprendre le poste de Premier ministre à l'élection de 1878. L'élection du 5 mars 1891 était la troisième élection de MacDonald à la tête des conservateurs (qu'on appelait encore parfois le Parti libéral-conservateur) après son élection de 1878. Non seulement devait-il alors composer avec l'arrivée d'un nouveau chef au Parti libéral, un certain Wilfrid Laurier, mais il a également dû composer avec certains de ses propres députés, notamment Thomas McGreevy (ci-bas).

Photo de MCGREEVY,  Thomas
Source: « Thomas McGreevy », William James Topley (photographe), Bibliothèque et Archives Canada, cote PA 033469, consultation en ligne, 26 mars 2011.
Il est encore impossible d'apprécier le résultat des élections générales.
Nous ne pouvons cependant nous empêcher de faire observer sans retard que le McGreevéisme a été balayé dans ce district, M. Flynn dans le comté de Québec, M. Chateauvert dans Québec-Centre, M. Turcotte dans Montmorency, etc.
Tous ceux enfin qui s'étaient inféodés à cette sale engeance ont été vaincus. M. McGreevy n'a échappé à la défait que par ses moyens ordinaires, la corruption et la démoralisation de la multitude.
Il ne pourra, il n'osera même pas prendre son siège, car il est sûr d'en être expulsé.
Cet extrait du quotidien Le Canadien (vendredi 6 mars 1891, p.2 - voir note en fin de texte) est un indicateur clair d'un des enjeux de l'élection de 1891 dans la région de Québec. En effet, bien que les conservateurs aient eu à contrer les élans de Wilfrid Laurier, l'élan des Libéraux n'est pas encore assez fort pour y déloger les conservateurs. Mais le cas de Thomas McGreevy est intéressant.

Député de la circonscription de Québec-Ouest depuis 1867, T. McGreevy est un entrepreneur qui a donc su se tenir près des milieux politiques de son époque. L'un des principaux entrepreneurs de la construction de l'Hôtel du Parlement de Ottawa, T. McGreevy a aussi su s'associer rapidement à différents collègues lui étant politiquement affilié pour participer à la construction de différends chemins de fer. Il était également impliqué dans un bon nombre de compagnies de la région de Québec et d'ailleurs au pays. Rapidement, il est devenu un proche des membres les plus influents de son parti. Il était argentier des Conservateurs pour le Québec et un confident de Hector-Louis Langevin, ministre des Travaux publics et bras droit de MacDonald (ci-bas).

Les malversations soulignées à l'époque auraient notamment été effectuées dans le cadre de la construction du chemin de fer de la Rive Nord. En fait, Thomas McGreevy s'était associé à son frère, Robert, alors employé de la firme Larkin, Connolly & Company, impliquée dans bon nombres de travaux publics. Robert avait été engagé sur recommandation de Thomas... à condition que celui-ci obtienne une participation de 35% dans la compagnie.

 Le très honorable sir John Alexander Macdonald
Source: « Le très honorable sir John Alexander Macdonald, Premier ministre, 1867-1873; 1878-1891 », Ernest Fosbery (peintre), 1931, Collection patrimoniale de la Chambre des communes, no. catalogue O-568, consultation en ligne, 26 mars 2011.

La relation était simple: grâce à ses contacts, Thomas manoeuvrait pour avantager la compagnie de son frère en modifiant des appels d'offres, rejetant des propositions au nom du ministère des Travaux publics et en offrant des informations privilégiées à Robert. Robert préparait les appels d'offre pour s'assurer de leur octroi à son employeur et Thomas pouvait donc toucher, à travers sa participation, une belle part des profits. La relation prend abruptement fin en 1888 alors que Robert décide de poursuivre son frère pour des sommes d'argent que Thomas ne lui aurait pas versées. Ces poursuites sont effectuées en 1888 et 1889, sans que Robert McGreevy réussisse à soutirer les sommes significatives à son frère.

Conscient des implications possibles de ces poursuites, R. McGreevy tente d'abord de jouer ses cartes sur la scène politique. Il approche les membres les plus influents du Parti conservateur, incluant MacDonald et Langevin. Cependant, au bureau du Premier ministre, on lui répond que des questions ont été posées aux principaux protagonistes et que les accusations sont sans fondement. R. McGreevy se tourne alors vers d'autres tribunes.

File:Joseph Israël Tarte.png
Source: « Joseph Israël Tarte », J. E. Livernois (photographe), copie d'une image de Bibliothèque et Archives nationales Québec, cote P560 S2 D1 P1307, wikipedia.org, consultation en ligne, 26 mars 2011.

Le principal dénonciateur de T. McGreevy est Joseph Israël Tarte (ci-haut). Directeur (ou éditeur) de plusieurs journaux et politicien, Tarte aura le plus vertement dénoncé les pratiques de McGreevy. C'est R. McGreevy qui prend contact avec Tarte au début de l'année 1890. Membre du Parti conservateur, il est aussi directeur du journal Le Canadien. Tarte, qui était un conservateur convaincu à l'époque (il deviendra plus tard un ministre libéral sous Laurier entre 1896 et 1902), connaissait l'influence immense que T. McGreevy avait en coulisse. Ce dernier allait jusqu'à aider les députés libéraux provinciaux de Honoré Mercier, principalement parce que ce dernier avait dédommagé T. McGreevy dans l'affaire de la construction du chemin de fer de la Rive Nord. En effet, T. McGreevy réclamait plus d'un million de dollars au gouvernement du Québec. Tous les gouvernements provinciaux conservateurs lui avaient refusé compensation, mais Honoré Mercier lui avait accordé...

Élu dans Montmorency comme indépendant en 1891, Israël Tarte va donc militer activement aux Communes contre McGreevy et son système de patronage entre des entreprises et les classes politiques du Québec et du Canada. Tous ces événements sont aujourd'hui encore connus sous le nom de scandale McGreevy-Langevin. C'est certainement ce scandale qui coûtera le poste de Premier ministre du Canada à Hector-Louis Langevin (ci-bas) qui était jusqu'alors considéré comme le successeur logique de John A. MacDonald.

File:HectorLangevin23.jpg
Source: « Hector-Louis Langevin », William James Topley (photographe),  juillet 1873, Bibliothèque et Archives Canada, cote PA 026409, copie sur wikipedia.org, consultation en ligne, 26 mars 2011.
McGreevy sera finalement expulsé du caucus conservateur le 29 septembre 1891, environ 6 mois après l'élection. Pour toutes ses actions, il sera condamné à un an de prison  (il y restera environ cinq mois et sera réélu comme député conservateur de Québec-Ouest en 1895 avant d'être défait en 1896). Hector-Louis Langevin sera largement éclaboussé et devra démissionner de son poste de ministre des Travaux publics. On dit que John Abbot, le remplaçant de MacDonald dès juin 1891, lui aurait promis le titre de lieutenant-gouverneur du Québec pour le forcer à démissionner, mais ce poste revint à Joseph-Adolphe Chapleau en 1892. Quant à Tarte, son élection fut annulée en 1892, mais il se représenta comme libéral dans la circonscription de l'Islet en 1893 et fut élu. C'est l'élection générale suivante, en 1896, qui sonnera le glas des conservateurs à la tête du Canada. Wilfrid Laurier,  à la tête du Parti libéral, demeurera Premier ministre jusqu'en octobre 1911.

Note
Il est intéressant de noter qu'une petit erreur d'impression semble s'être produite dans l'édition du journal, du moins dans la copie numérisée par Bibliothèque et Archives nationales Québec alors qu'on peut clairement lire 4 mars (plutôt que 6 mars) dans le haut de la page 2, page d'où provient la citation utilisée ci haut. Voir à ce sujet l'exemplaire de BANQ en cliquant sur ce lien.

Après un mois de pause, mise à jour dans les prochaines heures!

De retour dans la blogosphère après une pause d'un mois, Histoire et Société sera remis à jour dans les prochaines heures. Cette pause bien nécessaire était notamment l'occasion de pousser un peu plus loin une réflexion bien personnelle sur une des facettes du rôle des historiens dans la société. Comme par ce blogue, je crois fermement que les historiens sont très bien outillés pour parler du passé. Certes, ils le font dans leurs recherches et travaux scientifiques, mais ils ont aussi les outils pour le faire sur la place publique et ce, même si leur discours doit y être adapté, autant sur la forme que sur le fond. À ce moment, la mince ligne entre l'historien et l'interprète du patrimoine peut parfois rendre les deux rôles incompatibles, mais parfois se confondre...
C'est dans l'espoir de mieux présenter ces réflexions (et en conséquence de la formation académique que cela demande) que cette pause était nécessaire. Mais la formule de Histoire et Société ne changera pas en 2011: en s'inspirant de l'actualité, nous allons continuer à présenter des facettes de l'histoire de la ville de Québec (en se permettant quelques petits écarts, bien entendu).

Un petit avant goût pour la semaine?

Disons que le gouvernement est tombé cette semaine et qu'on s'en va en élection fédérale le 2 mai...